NOËL – NOSTALGIES SECRETES
Nouvelle de Gérard MOREL parue dans le N° 3464
de l’hebdomadaire NOUS DEUX (19 Novembre 2013)
Depuis le début de la soirée, Colette pressentait que Pierre, son mari, était préoccupé, comme s'il avait à lui réclamer quelque chose et ne savait comment s'y prendre.
A table, il avait nerveusement trituré le pain, il avait peu mangé, et maintenant il parcourait le programme de télévision sans décider de la chaîne qu'il souhaitait regarder.
Brusquement, il posa son magazine sur la table et dit à Colette sur ce ton faussement indifférent qu’il employait toujours quand il était embarrassé :
-A propos, j'ai déjeuné à midi avec Virginie.
-Nous y voilà, pensa Colette. Notre fille a quelque chose à nous demander. Et comme elle craint ma réaction, elle a préféré commencer par en parler à son père, qui ne sait pas comment m’en informer.
Elle fit toute une affaire de choisir un morceau de fromage sur le plateau, puis, autant pour venir en aide à son mari que par curiosité, elle finit par demander, elle aussi sur un ton faussement négligent :
-Comment va notre fille ?
-Elle est toujours très épanouie, répondit Pierre, très vite. Elle a eu raison de s’installer avec Benoît. Il l’aide à relativiser les soucis qu’elle rencontre avec sa clientèle. C’est un garçon que j’apprécie beaucoup.
-Nous nous en réjouissons tous, sourit ironiquement son épouse.
En réalité, Pierre et Virginie avaient toujours été très complices : le père avait fait partager à sa fille ses passions pour le ski et le jazz, mais leur entente avait volé en éclats à l’âge des premières amours de Virginie. Pierre dénigrait chaque garçon qu’elle fréquentait, il les estimait tous indignes d’elle, et il se fâchait quand Colette lui faisait remarquer qu’aucun d’eux ne trouvait grâce à ses yeux. Jusqu’à ce que Virginie tombe amoureuse de Benoît, qui aimait lui aussi le jazz, et qui skiait un peu moins bien que Pierre…
-Bref, interrogea Colette, qu’est-ce que Virginie attend de nous ? Ou de moi ?
-Mais rien du tout, protesta son mari, à peine trop vite. Elle n’a déjeuné avec moi que parce qu’elle devait retrouver un client qui a son bureau près du mien. Par contre, en cours de repas, quand je lui ai demandé ce qu’elle avait prévu pour la Noël, elle m’a dit qu’elle hésitait…
Et comme Colette, agacée, préférait manger lentement son fromage plutôt que demander à son mari sur quel point hésitait leur fille, Pierre se trouva bien obligé de préciser :
-Chaque année, elle et Benoît viennent passer la soirée du réveillon chez nous, et ils partent le jour de Noël chez les parents de Benoît. Mais cela les oblige à conduire longtemps, ce qui est dangereux, surtout un jour de fête où trop de gens ont abusé de l’alcool. Donc Virginie se demandait si tu n’accepterais pas d’aller passer le réveillon de Noël et la journée du lendemain chez ses beaux-parents. Monsieur et Madame Vargeret se proposent de nous accueillir et nous loger, dans la grande maison où ils habitent, à Bréville-sur-étang.
-Ah non, protesta aussitôt Colette. Tu sais bien que je n’apprécie guère ces gens.
-Tu n'as pourtant rien à leur reprocher. Ils se sont toujours montrés chaleureux envers notre fille.
-C'est normal. Mais ils ne sont pas... Euh… Pas très bien éduqués. Pas très cultivés. Pour tout dire, ils m’ont même paru plutôt vulgaires.
Tout en répétant ces mots, elle se rendait bien compte que l'argument n'était guère convaincant, et que son mari risquait de ne pas s'en satisfaire. Mais elle ne pouvait rien lui dire de plus.
Comme elle le redoutait, il insista, sans doute parce qu’il avait promis à Virginie de convaincre Colette d’accepter :
-On ne te demande pas de les fréquenter régulièrement, mais juste de passer deux jours avec eux à l’occasion de la Noël. Pour faire plaisir à ta fille.
Maintenant, Colette savait pourquoi son mari avait paru embarrassé toute la soirée. Virginie avait dû profiter de l’influence qu’elle avait sur lui pour lui demander de convaincre sa mère d’aller passer Noël chez ses beaux-parents. L’année dernière déjà, elle avait essayé de persuader Colette que Monsieur et Madame Vargeret étaient des gens sympathiques, et en tous cas tout à fait fréquentables.
-Non, répéta Colette Non, parce que si nous y allons, même une seule fois, notre fille nous demandera d’y retourner chaque année. Ensuite, il faudra leur rendre leur invitation, et nous n’aurons plus d’arguments pour cesser de les voir.
-Tu exagères, répondit Pierre, soucieux d’obtenir ce que sa fille désirait. Nous n’irons chez les Vargeret que cette année. Histoire de montrer à Virginie que nous acceptons de faire un effort pour lui faire plaisir.
Et, en croyant achever de convaincre Colette, il ajouta maladroitement :
-D’ailleurs, il est probable que nous passerions chez les Vargeret une soirée très sympathique ! Ces gens-là ont le sens de la fête, ils ont prévu d’inviter trois de leurs cousins. Et il y aura aussi le frère et la belle-sœur de Madame Vargeret.
Colette fut la première surprise de ne pas avoir brusquement lâché les deux assiettes qu’elle était en train de rapporter à la cuisine. Mais il est vrai que, si elle parvint à rester apparemment naturelle, c’est qu’elle s’attendait à ce que le frère de Madame Vargeret participe au repas du réveillon. Ces gens-là formaient une famille unie et solidaire, ils devaient célébrer ensemble les Noëls, les anniversaires de mariage et toutes les fêtes importantes. C’était d’ailleurs pour cette raison que Colette avait toujours vigoureusement refusé de fréquenter les Vargeret, depuis que Virginie s’était mise en ménage avec Benoît.
Le plus difficile pour elle avait été de ne jamais pouvoir confier la raison de son refus, à personne. Quand Virginie leur avait triomphalement annoncé qu’à 24 ans, après quelques liaisons brouillonnes, elle avait enfin trouvé l’homme de sa vie, Colette avait partagé la joie de sa fille. Elle avait aussitôt invité ce garçon à dîner à la maison, pour faire sa connaissance, et elle avait apprécié que Benoît réponde de façon spontanée et rassurante à toutes les questions qu’elle et Pierre lui avaient posées le plus discrètement possible.
Benoît était un jeune homme énergique, qui travaillait le soir dans une brasserie pour payer ses études. Il terminait un doctorat en informatique. Et semblait très amoureux de Virginie.
Même Pierre n’avait pas réussi à lui trouver un défaut grave, susceptible de le rendre indigne de fréquenter sa fille unique.
C’est à sa troisième visite, que Benoît avait négligemment indiqué être originaire de Normandie.
-Comme toi, maman, s’était joyeusement écriée Virginie. En plus, ses parents vivent tout près du village où tu as grandi. Ils sont installés à Bréville-sur-étang.
Benoît avait souri avec ce mélange de tact et de discrétion qu’il gardait toujours devant ses futurs beaux-parents, avant d’ajouter :
-Oui ! Je suis sûr que, dès que vous aurez fait la connaissance de ma mère, vous aurez beaucoup de choses à vous raconter, car maman est née à Bréville. Et puisque vous êtes de Harfleur, vous avez sûrement des relations communes.
-Sans doute, avait doucement répondu Colette.
Bizarrement, elle ne s’était pas réjouie que le compagnon de sa fille ait une mère originaire de Bréville-sur-étang. Comme si elle s’était doutée inconsciemment que cette coïncidence allait la faire replonger vers ces souvenirs qu’elle n’avait jamais réussi à effacer de sa mémoire, malgré les années qui passaient. Elle n’avait même pas été surprise quand Benoît, croyant lui faire plaisir, lui avait indiqué que sa mère était la fille du marchand de journaux de Bréville :
-Vous la connaissiez sûrement. Elle s’appelait Françoise Farnelli jusqu’à son mariage, avait-il insisté, devant l’absence de réaction de Colette.
-Oui. Je crois me souvenir vaguement d’elle, avait-elle acquiescé en essayant de rester naturelle.
En même temps, elle maudissait le hasard qui avait poussé sa fille à tomber amoureuse du fils de Françoise Farnelli. Et donc, du neveu de Frédéric Farnelli. L’homme qu’elle avait aimé à la passion, celui avec qui elle aurait dû partager toute sa vie, s’il ne l’avait pas quittée, soudainement…
Vingt-huit ans plus tard, le nom de Frédéric Farnelli, et les souvenirs qui y étaient liés, la blessaient toujours aussi cruellement. Mais comme elle ne voulait pas essayer de séparer Virginie de Benoît, elle avait pris le parti d’ignorer les parents du jeune homme, tant elle se sentait incapable de revoir Frédéric...
Chaque fois que Benoît avait proposé à Pierre et Colette de rencontrer ses parents, elle s’était trouvé un bon motif pour refuser poliment l’invitation. Et lorsque, une fois par an, elle se rendait avec Pierre sur le tombeau de sa famille, à Harfleur, si son mari lui proposait d’aller saluer les parents de Benoît, elle répondait qu’elle était trop fatiguée, ou trop émue, ou… Enfin, bref, elle trouvait toujours un prétexte pour les éviter !
Une seule fois, chez Benoît et Virginie, ils avaient croisé Monsieur et Madame Vargeret et la conversation avait été aussi brève que polie. Le soir-même, Pierre avait dit à sa femme qu’il ne comprenait pas pourquoi elle traitait ces gens de façon tellement hautaine.
Alors, pour ne pas répondre à son mari qu’elle tremblait de peur et d’émotion à la seule éventualité de se retrouver un jour face à face avec Frédéric Farnelli, elle avait prétendu trouver Monsieur et Madame Vargeret ordinaires.
Mais aujourd’hui, devant l’insistance de Virginie, relayée par son père, Colette sentait bien qu’elle ne pouvait plus refuser d’aller chez les Vargeret. A moins de décevoir sa fille. Ou, pire, de susciter les soupçons de Pierre…
-C’est bon, fut-elle obligée de céder. Nous irons donc passer le réveillon chez eux.
Et malgré l’effort que cela lui coûtait, elle frémit, autant par crainte que par curiosité, à la perspective de revoir Frédéric, même brièvement, même au milieu de leurs familles respectives…
Au mois de décembre, elle passa beaucoup de temps à chercher des cadeaux originaux pour les Vargeret. Elle eut aussi à cœur de participer à l’élaboration du repas de Noël en apportant des plats raffinés et un dessert aussi coloré qu’original. Elle tenait à ce que Frédéric puisse apprécier son bon goût.
Peut-être regretterait-il enfin de l’avoir quittée sans raison.
-Tout ce que tu as acheté est remarquable, répétait Pierre. Ta fille sera contente de toi. D’ailleurs, nous allons passer un réveillon beaucoup plus joyeux que si nous étions restés seuls chez nous avec les enfants.
Colette en doutait…
Et, dans l’après-midi du 24 Décembre, au moment de monter dans la voiture à côté de son mari, elle grimaçait sous les nausées tant elle appréhendait de revoir Frédéric.
Une seule phrase de Pierre l’apaisa, quand il remarqua qu’elle était particulièrement belle ce jour-là. Elle était passée le matin même chez l’esthéticienne, en sortant de chez le coiffeur, pour que Frédéric la retrouve au mieux de sa forme.
Trois heures plus tard, ils arrivaient à Bréville. Monsieur et Madame Vargeret les accueillirent cordialement et les conduisirent à leur chambre pour qu’ils puissent y déposer leurs bagages.
Dès qu’ils en redescendirent, le premier homme que Colette aperçut, mollement accoudé au buffet Henri II, fut bien évidemment Frédéric. En 28 ans, il avait pris quelques kilos, il avait aussi perdu ses cheveux sur le sommet du crâne. Mais il avait conservé ce regard négligemment amusé qu’elle avait toujours aimé. Et il déployait encore ce charme un peu condescendant, au point que, malgré l’appréhension qu’elle avait eue de le retrouver, maintenant Colette ne désirait plus que s’approcher de lui pour lui parler…
Comme s’il avait senti qu’elle l’observait, Frédéric se redressa pour saisir délicatement la main de son épouse.
Et ce simple geste suffit à blesser Colette en lui rappelant combien elle avait aimé sentir sa main dans la sienne, à l'époque où il lui disait qu’il l'aimait.
A cet instant, Madame Vargeret frappa dans ses mains, pour annoncer à ses invités qu’ils pouvaient commencer à prendre l’apéritif, présenté sous forme de buffet.
Les cousins Vargeret se levèrent aussitôt pour s’approcher d’une table installée dans la véranda. Il y avait là toutes sortes de charcuteries, de viennoiseries et de biscuits au fromage. Sous prétexte d’en goûter un, Frédéric se rapprocha de Colette :
-Bonjour, Colette ! Sache que je suis heureux de te revoir. Je ne l’espérais plus. Pourtant, quand j’ai appris que la petite amie de Benoît était ta fille, je me suis réjoui, je pensais que cela te ramènerait en Normandie. Mais tu…
-Je suis très occupée, l’interrompit Colette. Mon mari et moi, nous travaillons beaucoup.
-J’espère surtout que tu es heureuse, poursuivit plus doucement Frédéric.
-Mon mari est très gentil, répliqua-t-elle.
Il aurait sans doute été plus habile de rendre Frédéric jaloux en lui racontant qu’elle vivait auprès de Pierre un mariage passionnel, mais elle savait qu’elle n’aurait pas été tout à fait crédible. Et puis, pour la première fois qu’elle revoyait l’homme qu’elle aimait, après vingt-huit ans de séparation et de regrets, elle préférait ne pas lui mentir.
Elle lui décrivit donc la vie qu’elle menait, partagée entre sa famille et son métier de professeur d’histoire. Et les excentricités de ses élèves, qu’elle racontait à Pierre en riant, quand elle le retrouvait, le soir.
-Pourquoi n’es-tu jamais revenue à Harfleur ? Ni à Bréville-sur-Etang ?
Elle haussa les épaules, d’un geste qu’elle aurait voulu indifférent.
Et puis, à sentir son sourire amusé posé sur elle, comme autrefois, elle éprouva le besoin d’ajouter :
-J’avais aussi très peur de te retrouver.
Il parut stupéfait :
-Comment as-tu pu avoir peur de moi ?
A cet instant, il était attendrissant de naïveté, comme durant leur jeunesse. Et, comme à cette époque, elle eut en même temps envie de rire de lui, de se moquer, mais aussi de le serrer contre elle.
-Non, soupira-t-elle, je n’avais pas peur de toi, mais peur de souffrir en te revoyant.
Il paraissait ému d’apprendre qu’elle avait gardé un aussi puissant souvenir de lui :
-Pourtant, nous n’avons vécu ensemble qu’une liaison très brève.
Il regretta instantanément ce qu’il venait de dire, en s’apercevant trop tard qu’elle était au bord des larmes.
-Pardonne-moi, murmura-t-il, en saisissant son bras pour lui transmettre un peu de sa force.
Virginie et Benoît venaient d’arriver, en retard comme d’habitude. Ils parlaient avec le reste de la famille autour du buffet, et Frédéric et Colette en profitèrent pour s’éloigner vers le salon et ne pas risquer d’être entendus.
Frédéric rappela à Colette combien il l’avait aimée, lui aussi, comme pour lui démontrer qu’on pouvait toujours surmonter un chagrin d’amour, même intense.
-Oui, mais c’est toi qui as pris l’initiative de me quitter, soupira Colette.
Et là, elle eut du mal à se retenir de hurler lorsqu’il lui apprit, vingt-huit ans trop tard, qu’à l’époque il était allé voir ses parents pour leur annoncer son intention de se fiancer avec elle, et que c’était la mère de Colette qui lui avait ordonné de rompre avec sa fille. Parce qu’elle voulait un gendre diplômé et issu d’une famille plus fortunée.
-Mais c’est terrible, gronda Colette. Moi je t’aimais tel que tu étais, et je n’aspirais qu’à vivre auprès de toi. Souviens-toi !
Oui, mais sa mère craignait qu’une fois passé l’enthousiasme des premiers mois, elle souffre auprès de Frédéric parce qu’il n’aurait pas pu lui assurer le train de vie auquel elle avait été habituée. Elle avait donc humilié Frédéric en lui rappelant qu’il n’avait pas fait d’études et que malgré toute sa bonne volonté, il ne pourrait jamais avoir une situation équivalente à celle de Colette.
Celle-ci ne répondait même plus. Elle se souvenait aujourd’hui que sa mère avait toujours été hautaine, qu’elle méprisait volontiers les gens, peut-être pour faire oublier qu’elle-même avait grandi dans une famille pauvre, avant d’épouser le père de Colette et de se montrer beaucoup plus dédaigneuse que lui.
-Elle aura fait mon malheur, avec ses préjugés. Et je ne peux même plus le lui reprocher, puisqu’elle morte au printemps 2012.
Frédéric était plus indulgent. Il estimait que cette femme avait agi pour assurer le confort de sa fille, à défaut de son bonheur.
-En me demandant de te quitter, elle m’a permis de rencontrer Nicole, qui est une femme adorable et du même milieu que moi. Et toi, tu as épousé Pierre. Alors que si nous étions restés ensemble, tu aurais peut-être fini par me reprocher de ne pas gagner ma vie aussi bien que toi.
-Mais nous aurions pu aussi rester amoureux au point de négliger tout le reste, insista encore Colette.
En même temps, elle s’étonnait de trouver Frédéric plus paisible, plus résigné que dans ses souvenirs. Il avait ces gestes lents des hommes qui prennent toujours leur temps, et cela l’agaçait, maintenant qu’elle était habituée à vivre près de Pierre qui débordait d’énergie.
D’ailleurs, Pierre n’aurait pas obéi à sa mère en rompant leurs relations. Il aurait protesté, ou bien il aurait relevé le défi en s’engageant à reprendre ses études et à travailler assez pour assurer à Colette le train de vie qui était censé lui être nécessaire.
-Et moi, conclut-elle, j’aurais dû demander davantage d’explications à Frédéric, au lieu de pleurer sur sa rupture.
En somme, ils s’étaient aimés, bien sûr, mais pas au point d’arriver à imposer leur amour.
Aujourd’hui, Frédéric semblait heureux auprès de son épouse, il n’avait donc rien à regretter. Mais elle, elle n’avait pas vraiment profité de l’amour admiratif et sincère que lui vouait Pierre.
Et pourtant, elle l’aimait aussi, sinon elle n’aurait pas vécu toutes ces années à ses côtés. Alors ? Alors, ils auraient pu former un couple exceptionnel, un de ces couples que l’on envie pour leur façon de tout partager, vacances, ambitions, rêves et factures quotidiennes, si seulement elle n’avait pas cultivé la nostalgie de cet amour pour Frédéric.
-Aujourd’hui, nous pourrions nous revoir, s’enhardit brusquement à proposer Frédéric. Tu sais, il m’arrive de me rendre à Paris pour des réunions syndicales, ce qui me laisse toujours un peu de temps libre.
-Non, répondit sèchement Colette. On ne va pas se retrouver en secret comme de vieux amants honteux. Et je t’ai trop aimé, trop regretté aussi, pour pouvoir te faire visiter Paris en toute amitié. Par contre, désormais, si ta sœur nous invite à nouveau avec mon mari, je reviendrai sans appréhension.
-Te voici devenue encore plus raisonnable que moi, soupira Frédéric.
Sans que Colette puisse savoir s’il la félicitait ou s’il regrettait… Mais peu lui importait, désormais !
En ce soir de réveillon de Noël, elle venait de se libérer de la nostalgie de ce premier amour. Et à cet instant, elle se sentait étonnamment légère, libre, et même amoureuse de son mari.
Au moment où elle se rapprochait de Pierre pour s’asseoir à table et goûter aux boudins blancs que venait d’apporter Madame Vargeret, Virginie se leva et réclama solennellement la parole :
-Cette année, je tenais à ce que nos deux familles passent Noël ensemble, parce que Benoît et moi avons à vous annoncer que… que… Que nous allons avoir au mois de Juin notre premier enfant !
Pierre retint son émotion en prenant la main de sa femme entre les siennes :
-Nous allons devenir grands-parents ! Et pourtant, je t’aime encore autant que lorsque je t’ai connue. Nous avons beaucoup de chance, n’est-ce pas ?
-Oui, sourit Colette en se blottissant contre lui. C’est vrai, nous avons beaucoup de chance.
Désormais, elle en était aussi persuadée que lui.
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