LA SERVANTE FIDELE
Nouvelle de Gérard MOREL parue dans le N° 3044
de l’hebdomadaire NOUS DEUX (1er Novembre 2005)
Dans l’existence de la servante Giulietta, sa rencontre avec Flavio Farnèse résonna comme un coup de tonnerre. Un de ces orages que les Vénitiens guettent parfois pour apaiser la chaleur moite de l’été, et qui éclatent subitement dans un ciel surpris…
Le soir-même où, en sortant de l’église San Zaccaria, Giulietta croisa le chemin de ce riche et élégant gentilhomme, il lui sourit. Spontanément. Et cette marque d’intérêt suffit à enflammer le cœur et l’esprit de la jeune servante.
A vrai dire, ce soir-là, Giulietta était moins amoureuse qu’étonnée. Car, depuis son enfance, personne ne s’était jamais attardé à la saluer ni à lui sourire. Longtemps, on l’avait tout à la fois crainte et méprisée, parce que son visage était déformé par un bec-de-lièvre. Dans la bonne société vénitienne, les hommes raffinés la jugeaient affreuse, et les gens superstitieux esquissaient en l’apercevant un signe de croix, tout en murmurant que le bec-de-lièvre était la marque d’une liaison de sa mère avec le diable.
Bref, Giulietta avait grandi en solitaire, jusqu’à ce qu’elle entre au service de la belle et troublante duchesse de Mantoue. Dès lors, plus aucun Vénitien n’avait osé se moquer d’elle, de crainte de s’attirer la colère de la duchesse, mais on ne l’avait pas fréquentée davantage. Désormais, elle demeurait retirée dans le somptueux palais des ducs de Mantoue.
En sa qualité de femme de chambre, Giulietta devait essentiellement se consacrer aux soins de beauté de sa maîtresse. C’était elle qui allait chez les herboristes acheter les pétales de bleuets, les feuilles de mauve ou les huiles lointaines qu’elle faisait ensuite bouillir dans des décoctions que la duchesse s’appliquait sur le visage toute la nuit pour sauvegarder la fraîcheur laiteuse de sa peau.
Car la duchesse vivait dans la terreur de vieillir, surtout depuis qu’un duel entre son époux et le seigneur Altieri l’avait laissée veuve, et libre.
A compter de ce matin de Novembre, elle avait porté le deuil, …avec d’autant plus de rigueur que le noir affinait sa silhouette.
-Dès que j’ai été veuve, avouait-elle en souriant à sa servante Giulietta, les plus ardents et les plus riches des Vénitiens ont rivalisé pour essayer de me distraire !
-Madame finira sûrement par épouser l’un de ses soupirants, répondait doucement Giulietta, qui connaissait la coquetterie de la duchesse.
Mais sur ce point, la jeune servante se trompait. La duchesse avait trop souffert de la brutalité et des infidélités de son époux pour envisager de se remarier un jour. Elle trouvait plus confortable de mesurer son pouvoir de séduction sur ces Messieurs, aristocrates, armateurs ou riches marchands, qui venaient déposer à ses genoux leur passion et leur fortune.
Grâce à eux, Giulietta était passée peu à peu du rang de servante à celui de confidente, c’était elle qui était chargée par la duchesse de porter à l’un de ces Messieurs une invitation à venir secrètement, dès la prochaine nuit sans lune, devant la porte du Palais des ducs de Mantoue, où la duchesse les accueillerait… C’était à elle aussi qu’il incombait de leur annoncer, une ou deux lunes plus tard, que Madame ne désirait plus les revoir, sous prétexte qu’elle ne pouvait oublier le deuil de son mari.
-Giulietta, j’espère que ma conduite ne te scandalise pas trop, soupira un matin la duchesse, sans d’ailleurs douter de la fidélité de sa servante.
-Pourquoi donc, Madame, interrogea la jeune domestique, avec un air faussement naïf. Vous recevez ces hommes, vous nouez avec eux des liaisons plus ou moins durables en fonction des joyaux qu’ils vous offrent et du plaisir qu’ils vous inspirent, puis vous les renvoyez lorsque vous êtes lassée d’eux. Je ne puis donc qu’être fière de servir une maîtresse assez forte pour imposer sa propre volonté aux hommes, alors que tant de femmes ne sont que les souillons de leurs époux.
-Je n’ai que faire de ton avis, et cependant j’aime que tu restes indulgente à mon égard, sourit la belle aristocrate.
-Non, Madame, protesta Giulietta, dans une bouffée d’amertume. Non, je ne suis ni généreuse ni naïve. Mais lorsque l’on est comme moi défigurée par un bec-de-lièvre, lorsque l’on n’a inspiré que le dégoût et la peur, eh bien on est heureuse de servir une dame qui vous venge en faisant soupirer et souffrir les hommes…
Trois années s’écoulèrent ainsi pour Giulietta, dans l’ombre fastueuse et libertine des amours de la duchesse.
Jusqu’à ce que, précisément, en ce soir de Mars 1344, le jeune et séduisant Flavio Farnèse, fils d’un armateur enrichi du commerce avec l’Orient, sourie à la jeune servante.
Dès le lendemain, il alla assister à la messe dite en l’église San Zaccaria, et il s’arrangea pour sortir en même temps que Giulietta. Avec beaucoup de délicatesse, il lui fit la cour ce soir-là, au point qu’elle crut qu’à la faveur de la pénombre de l’église puis de l’opacité du crépuscule, il n’avait pas remarqué son bec-de-lièvre. Etonnée d’avoir plu à un homme, pour la première fois de sa vie, elle joua le jeu, lui tendit sa main à baiser, tout en refusant évidemment de l’embrasser pour qu’il ne risque pas de découvrir son infirmité. Déjà troublée par le charme de Flavio Farnèse et surtout par l’ivresse de lui plaire, elle ne put se dégager qu’en promettant au jeune séducteur de le retrouver trois jours plus tard, face au Pont des Soupirs.
Ce soir-là, en regagnant le palais des ducs de Mantoue, Giulietta se sentait étonnamment heureuse, emplie d’un appétit de vivre aussi soudain que féroce. Certes, elle savait qu’elle ne se rendrait pas au rendez-vous pris avec Flavio Farnèse, pour ne pas le décevoir en se montrant à lui avec son bec-de-lièvre. Et elle n’assisterait plus jamais aux messes de l’église San Zaccaria, pour ne pas risquer de le revoir, mais du moins Flavio continuerait-il de rêver de l’inconnue malicieuse, qui avait accueilli sans protester sa déclaration d’amour… La seule qu’elle recevrait jamais !
Ce fut à la pleine lune suivante que, contre toute attente, elle le revit. Elle revenait du marché aux épices, où elle était allée acheter pour la duchesse les herbes susceptibles de sauvegarder sa jeunesse, lorsqu’elle s’entendit interpeller ironiquement :
-J’étais certain que la meilleure tactique pour vous retrouver consistait à fréquenter le marché. Aucune des jeunes coquettes de notre cité ne résiste à ses attraits. Pourquoi avez-vous manqué à votre promesse, devant le Pont des Soupirs, où je vous ai attendue en vain ? Sans doute m’étais-je montré trop empressé à votre égard, trop rapidement. Ma seule excuse est que je vous aimais déjà, au point de négliger la courtoisie…
Il s’exprimait avec un raffinement auquel la servante n’était guère habituée. Même les soupirants de la duchesse se montraient moins respectueux, lorsqu’ils adressaient leurs compliments à la noble dame. Et Giulietta était trop flattée, trop sensible aussi, pour percevoir la note d’ironie qui perçait dans les propos de Flavio Farnèse.
Occupée surtout à baisser son visage pour tenter de lui dissimuler son bec-de-lièvre, elle bafouilla quelques excuses, en expliquant qu’elle n’était qu’une domestique, obligée de demeurer au service de sa maîtresse même lorsqu’elle avait un rendez-vous important.
-Les filles comme moi ne maîtrisent ni leur temps ni leurs sentiments, conclut-elle.
Il réagit à ces humbles propos en sursautant, s’étonnant qu’elle ait pu demeurer servante, elle qui possédait le charme rare des véritables grandes dames.
-Il vous aura fallu beaucoup de vertu, pour résister aux offres malhonnêtes de tous ces seigneurs, qui auront tenté de vous offrir leur fortune en échange d’une nuit passée en votre compagnie. Vous possédez les yeux les plus verts de Venise. Des yeux qui semblent refléter la lagune…
Elle soupira, ne sachant comment lui faire observer qu’aucun homme n’aurait eu l’idée d’offrir le moindre ducat à une fille au visage déformé par un bec-de-lièvre.
Flavio protesta :
-Eh bien moi, justement, je vous aime aussi pour ce signe qui vous différencie des autres femmes.
Et, pour qu’elle n’ait aucun doute sur la véracité de son ardeur, il se rapprocha d’elle et l’embrassa.
-Désormais, vous êtes mienne, s’exclama-t-il fièrement.
Sans doute était-ce plus un ordre qu’une supplique, mais Giulietta était trop émue pour protester. Au contraire, elle regardait maintenant Flavio d’un regard neuf, appréciant sa silhouette vigoureuse de gentilhomme, son visage aux traits énergiques et réguliers, et, surtout, le regard brûlant qu’il était le premier à poser sur elle, sans reculer face à ses lèvres déformées.
Et lui, la sentant conquise, l’attirait dans la pénombre discrète du portail d’un palais, pour préciser ses caresses, embrasser ses cheveux, ses doigts…
Il finit par lui demander au service de quelle dame elle travaillait :
-J’irai lui rendre visite, promit-il, je lui expliquerai que je vous aime et qu’elle doit vous donner votre congé. Je suis certain qu’elle ne refusera pas de vous libérer de votre service…
Giulietta hésita :
-Nous ne nous connaissons pas encore assez pour que j’abandonne le service de Madame la duchesse. D’ailleurs, je suis bien traitée chez elle, et…
-Et vous refusez de me suivre, balbutia Flavio avec un air mi douloureux mi outragé. Auprès de moi, vous occuperiez un rang de dame, vous auriez à votre tour des domestiques que vous commanderiez…
Il lui décrivit le palais qu’il possédait, sur la place des Anges, ainsi que les meubles lointains, les bijoux somptueux, les tissus multicolores qu’il mettrait à sa disposition. Mais elle n’avait que faire du faste qu’il lui offrait, il avait suffi qu’il parvienne à l’embrasser pour que déjà elle perde toute sa volonté, à se répéter qu’un homme consentait à l’aimer et à la prendre pour compagne.
Afin d’interrompre l’énumération de ses biens, elle lui dit très vite qu’elle était femme de chambre de la duchesse de Mantoue.
-J’irai la voir dès demain, décida-t-il. Cette dame est veuve, elle se souviendra que l’amour et la vie sont plus fugitifs qu’on ne le croit, et elle accueillera favorablement ma requête. Je saurai l’émouvoir.
Mais, très vite, il parut se souvenir que bien des soupirants se présentaient dans les salons de réception de la duchesse.
-Mieux vaudrait que vous m’introduisiez discrètement dans ses appartements, suggéra-t-il. Certes, la duchesse en sera surprise tout d’abord, mais lorsque je lui aurai expliqué la raison de ma visite, elle nous pardonnera.
Giulietta voulut refuser, mais Flavio insista, lui répéta qu’il l’aimait. Et elle ne put que lui céder.
Trois jours plus tard, elle profitait du crépuscule pour introduire le jeune homme dans le palais des ducs de Mantoue. Elle lui indiqua le chemin des appartements privés de la duchesse, où il se rendit seul, avec cette audace qui ne peut être inspirée que par un véritable amour.
Tremblante, Giulietta faisait semblant d’astiquer les cuivres de l’escalier d’honneur, afin de demeurer à proximité de l’antichambre où Flavio allait surprendre la duchesse pour lui parler de leur amour.
Puis, oubliant ses derniers principes, elle colla son œil contre la serrure pour suivre en toute indiscrétion l’entretien de la duchesse avec l’homme qu’elle aimait.
Hélas, très vite, elle regretta son geste…
Car loin d’évoquer calmement cet amour qui le liait à Giulietta, Flavio se précipitait aux genoux de la dame de Mantoue en s’écriant …qu’il n’aimait qu’elle ! Il ajouta que jamais il n’aurait accepté de se mêler à la cohorte de ses soupirants, il avait préféré user d’un stratagème pour se retrouver seul face à elle et la supplier de lui offrir sa main, et son amour !
Aussi stupéfaite que désespérée, Giulietta commençait à se demander pourquoi, dans ces conditions, Flavio s’était abaissé jusqu’à lui jouer la comédie de la passion amoureuse, lorsqu’elle l’entendit raconter à la duchesse, sans retenir son rire :
-J’étais prêt à tout tenter pour entrer en relations avec vous. Et j’ai trouvé astucieux de faire croire à votre domestique que je l’aimais, ce qui l’a incitée à m’introduire dans votre palais !
Maintenant prise entre la colère et l’écœurement, Giulietta l’entendit même ironiser sur le baiser qu’il s’était forcé à lui donner, les serments qu’il lui avait faits, tandis que la duchesse s’étonnait en souriant :
-Et cette pauvre Giulietta vous a cru ? Comment pouvait-elle donc imaginer qu’un gentilhomme aussi beau, aussi vigoureux que vous pouvait l’aimer… Je la croyais plus subtile. Décidément, l’amour rend les filles bien sottes !
Toute à la joie de se découvrir un soupirant nouveau, la duchesse ne songeait même pas à plaindre sa servante. Elle minaudait avec des grâces de jeune fille, sous le sourire déjà vainqueur de Flavio.
Giulietta apaisa provisoirement sa colère en renversant une haute statue en marbre vert, avant de conclure :
-La duchesse consacre son temps et son énergie à s’attirer des soupirants qui la rassurent sur son charme, et ce naïf n’osait même pas lui avouer directement son amour !
Ç’aurait pu paraître risible, si ce n’avait été aussi douloureux pour elle, Giulietta. Elle qui s’était toujours résignée à n’entrevoir l’amour qu’à travers les confidences de la duchesse ou les regards désemparés de ses soupirants. Défigurée par son bec-de-lièvre, elle n’avait jamais rien demandé d’autre à la vie que l’absence de souffrance, mais il avait encore fallu que ce Flavio Farnèse la choisisse tout exprès pour se moquer d’elle et l’utiliser afin de rencontrer la duchesse.
-Il souffrira, se répétait-elle dans l’espoir de se consoler. La duchesse va se jouer de lui, de ses sentiments ou de sa fortune, puis elle me demandera de le congédier. Comme les autres…
Mais même l’idée qu’il soit humilié et blessé à son tour ne parvenait pas à la réjouir. Malgré elle, elle le plaignait par avance, et c’est peut-être cette inquiétude pour lui qui lui fit prendre conscience qu’elle l’aimait vraiment. En dépit de la trahison et de l’humiliation qu’il lui avait infligées.
Cette nuit-là, Giulietta fut tentée de quitter le palais. Si finalement elle resta, ce fut par curiosité. Elle comprit qu’elle avait besoin de demeurer dans l’ombre de la duchesse pour voir comment celle-ci se conduirait avec Flavio, combien de temps elle le garderait pour amant, et comment il supporterait sa rupture.
Pour l’heure, la duchesse était visiblement éprise. Sans même se souvenir que Flavio avait fait semblant d’aimer Giulietta pour parvenir jusqu’à elle, elle annonça dès le lendemain matin à sa servante sur un ton triomphal qu’elle bénéficiait de l’ardeur d’un nouveau soupirant :
-Il doit avoir douze ans de moins que moi, mais il ne s’en aperçoit même plus, tant il me désire. Son regard est si intense, si éperdument amoureux, qu’il parvient à me rassurer, même sur mon âge. …Ou à m’effrayer, peut-être, ajouta-t-elle avec une intonation nouvelle, étonnamment lucide, comme si déjà elle entrevoyait le naufrage vers la solitude et la peur que constituerait sa vieillesse.
Désormais, la duchesse recevait son amant un soir sur trois. Les autres nuits, elle se faisait confectionner par Giulietta des décoctions de fleurs de mauve et d’essences lointaines, qu’elle s’appliquait sur le visage pour se protéger des rides en dormant.
-Si Flavio me voyait vieillir et se lassait de moi, j’en mourrais, répétait-elle fiévreusement à sa servante.
Mais c’étaient là les mots qu’elle employait à chaque fois qu’elle se découvrait un nouvel admirateur.
-Avant la nuit sans lune de Mai, elle l’aura oubliée, ricanait amèrement Giulietta.
Elle seule, demeurait véritablement fidèle.. Si seulement Flavio avait pu vivre sa passion pour la duchesse puis, quand celle-ci serait lassée, revenir vers elle, Giulietta se serait encore estimée trop heureuse de lui pardonner ses mensonges et ses humiliations passées. Mais depuis le temps qu’elle demeurait dans l’ombre de la duchesse, elle avait appris à connaître les faiblesses des hommes, et elle savait bien que, s’il leur arrivait de se lasser d’une femme après l’avoir aimée, jamais en revanche ils ne s’éprenaient d’une autre qu’ils avaient délaissée par le passé.
-Puisqu’il m’a jouée la comédie de l’amour lors de notre première rencontre, en conclut-elle, il ne m’aimera jamais.
Dès lors, elle se surprit à souhaiter qu’il reste le plus longtemps possible l’amant de la duchesse. Car ainsi, elle pouvait guetter son passage dans la cour en mosaïque du palais, et le regarder rejoindre sa maîtresse, avec cette démarche rapide et ce regard enfiévré de passion.
Par une nuit de pleine lune, elle se risqua même jusqu’à se rapprocher de la chambre de la duchesse. A travers l’opacité colorée des vitraux, elle observa le rapprochement des silhouettes des deux amants, vers le grand lit de la duchesse. Elle les entendit s’aimer, et échanger des mots d’amour qui étaient sincères puisqu’ils n’engageaient pas l’avenir. Jamais la duchesse ne consentait de serment, elle ne vivait la passion qu’au présent, au jour le jour, ou plutôt à la nuit la nuit.
Giulietta ne fut donc guère surprise lorsqu’elle reçut pour ordre de congédier Flavio, avant la nuit sans lune d’Avril :
-Il est fougueux, mais il m’ennuie, soupira la duchesse. Alors que Pietro Aretino, le fameux poète romain, m’a consacré une ode magnifique… Il faut que je le laisse m’aimer avant qu’il ne s’en retourne à la Cour du Pape.
Ce soir-là, Giulietta dut arrêter Flavio dans les escaliers du palais, pour lui exposer que la duchesse refusait de le revoir. Certes, elle se doutait qu’il allait protester, puis souffrir, mais elle ne s’attendait pas à ce qu’il se venge sur elle en l’insultant :
-Je ne te crois pas, c’est toi seule qui prétends que la duchesse a cessé de m’aimer, parce que tu es jalouse !
Il repoussa violemment Giulietta et aurait rejoint de force les appartements de la duchesse, si le majordome ne s’était interposé… Alors, acceptant enfin de comprendre que sa dame refusait de le revoir, il insulta Giulietta, avant de repartir dans la nuit.
Au petit matin, on trouva son corps, pendu à l’embarcadère du palais des ducs de Mantoue.
Seule Giulietta le pleura.
Mais quand la duchesse lui ordonna d’aller acheter les fleurs et huiles nécessaires au maintien de sa jeunesse, elle comprit qu’il lui appartenait de venger Flavio. Personne ne sut ce qu’elle dit à l’herboriste, mais elle revint du marché en tenant contre elle une fiole remplie d’une huile mauve. Elle attendit le crépuscule pour préparer l’onguent que sa maîtresse se passait sur le visage dans le secret de ses appartements…
Cette nuit-là, la duchesse poussa un hurlement, après avoir enduit son visage de l’onguent qui devait sauvegarder sa jeunesse. Elle courut s’asperger d’eau fraîche, mais son miroir lui confirma qu’elle avait le visage brûlé.
Trois jours plus tard, Giulietta était condamnée à mort par la redoutable Quarantia, l’assemblée des Juges de Venise. Mais ce fut à peine si la jeune servante comprit la sentence. Indifférente à sa propre vie, elle se souvenait seulement que, de gré ou de force, la duchesse serait désormais fidèle à Flavio. A l’heure de son exécution, elle priait encore pour le repos de l’âme du seul homme qu’elle avait aimé, malgré lui-même…
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