LES SAVEURS AMERES DE LA VENGEANCE
Nouvelle de Gérard MOREL parue dans le N° 3333 de l’hebdomadaire NOUS DEUX (17 Mai 2011)
puis dans le N° 255 de la Revue de l’Amicale des Cadres de la Police (Décembre 2015)
Dès que j’ai lu dans la presse que le célèbre acteur Francis Forsythe allait revenir en Angleterre pour y tourner son prochain film, je me suis douté qu’il profiterait de son séjour pour me rendre visite. Et que, malheureusement, je ne parviendrais pas à l’éviter.
Francis et moi avions travaillé trois ans ensemble, au début de sa carrière. J’étais alors le scénariste de la série intitulée « Hôpital » dans laquelle il tenait le rôle d’un médecin urgentiste qui se dévouait pour sauver ses patients, tout en menant des enquêtes et en rassurant au passage les infirmières qui vivaient des histoires d’amour malheureuses.
Durant la première saison d’ « Hôpital », trois médecins se partageaient la vedette mais, très vite, le charisme naturel de Francis avait éclipsé les deux autres, et les producteurs m’avaient demandé d’étoffer son personnage. C’était pour lui que plus de trente chaînes de télévision avaient acheté le droit de diffuser cette série dans leurs pays respectifs.
Mais dès qu’il a été célèbre, Francis a rompu son contrat pour se lancer dans le cinéma. Après quelques films tournés en Angleterre, il a répondu aux propositions hollywoodiennes et je n’ai plus eu aucunes nouvelles de lui…
Néanmoins, j’étais bien certain que ce cabotin de Francis ne résisterait pas au désir de venir me revoir, sous les objectifs d’une vingtaine de photographes, pour que la presse internationale rapporte l’émotion qu’il ressentait en retrouvant le premier scénariste qui avait travaillé pour lui.
Et en effet, dès son arrivée à Londres, il annonça publiquement sa volonté de rencontrer l’ancienne équipe d’ « Hôpital » :
-Je dois tout à ce feuilleton, s’exclamait-il en couverture de plusieurs magazines.
Si j’avais refusé de le revoir, il aurait prétendu que j’étais jaloux de sa célébrité.
Aussi, lorsqu’il téléphona aux studios pour lesquels je travaillais, j’acceptai de déjeuner avec lui. Néanmoins, bien qu’il ait insisté pour que mon épouse se joigne à nous, je me rendis seul à son invitation.
Comme je m’y attendais, il posa avec moi et répondit à toutes les questions des journalistes avec une amabilité aussi factice que le plaisir qu’il semblait éprouver à me retrouver. Mais, dès que nous fûmes seuls, il changea de ton pour me demander pourquoi ma femme ne m’avait pas accompagné.
-Elle avait pris depuis plusieurs mois un rendez-vous chez son médecin, répondis-je avec une indifférence appuyée.
Et, pour qu’il ne me pose pas d’autres questions sur elle, je le fis parler de sa carrière.
Il en profita pour me raconter en détails sa vie à Hollywood, ainsi que ses multiples projets de films. Poliment, il ajouta qu’il espérait retravailler un jour avec moi. Je l’en remerciai, même si je doutais de sa sincérité.
En réalité, je m’attendais plutôt à ce que nous nous séparions à la fin du repas en nous promettant de nous « retéléphoner très vite », selon la formule que l’on utilise dans notre milieu avec tous les gens que l’on n’a aucune intention de revoir. Aussi fus-je surpris d’entendre Francis déclarer, au moment de payer l’addition :
-Je reste deux mois à Londres pour le tournage de « Banco ». Prenons rendez-vous dès à présent pour dîner ensemble un soir au Savoy.
Bien sûr, il rajouta :
…Avec ta femme, évidemment !
Je sentis une sueur glacée couler subitement le long de mon dos, tandis que je répondais d’un ton vague que nous avions bien le temps de nous revoir.
-Mais non, insista-t-il. Tu sais comme moi que, si l’on ne fixe pas de date tout de suite, nous remettrons sans cesse notre rendez-vous à plus tard… Or, je ne veux pas retourner aux Etats-Unis sans avoir revu Cynthia.
Il m’était dès lors impossible de poursuivre cette conversation en maintenant l’ambiguïté que j’avais soigneusement entretenue jusque là autour du prénom de ma femme.
Je dus faire semblant de m’étonner :
-Comment ? Tu n’as donc pas su que Cynthia et moi avions divorcé ?! Je suis remarié depuis plusieurs années avec la comédienne Gladys Preston.
Malgré son talent d’acteur, Francis eut du mal à se reprendre pour s'écrier :
-Je l’ignorais ! Comment l’aurais-je appris ? Même si c’est injuste, les journaux détaillent la vie des vedettes mais ne parlent jamais des scénaristes, …aussi talentueux soient-ils ! ! !
Il aurait dû me demander si Gladys était belle et si j’étais heureux avec elle, au moins par politesse, mais sa curiosité était en éveil. Aussi ses questions ne concernèrent-elles que Cynthia :
-Quand vous êtes-vous séparés ? Et qu’est-elle devenue ?
Je fus tenté de refuser de lui répondre. Il m’aurait été facile de prétendre que ces souvenirs restaient douloureux pour moi, mais une telle dérobade n’aurait fait que stimuler son désir d’en apprendre davantage.
Aussi lui répondis-je de la façon la plus détachée possible, que Cynthia avait décidé de me quitter onze ans plus tôt. C’était elle qui avait demandé le divorce.
-Et ensuite, qu’est-elle devenue, insista Francis.
J’eus un geste d’ignorance.
-Ne me dis pas que vous êtes fâchés, poursuivit-il encore. Vous étiez assez intelligents tous les deux pour vous quitter en bons termes, non ?
Je dus lui raconter que nous avions rompu tout contact dès qu’elle avait demandé le divorce. Et que je n’avais plus eu aucunes nouvelles d’elle.
Même si je ne suis pas comédien, je sus sans doute prendre une intonation assez douloureuse, car Francis n’osa pas poser davantage de questions.
Mais sa curiosité n’était pas rassasiée, je le lisais dans son regard.
Et je sus qu’il allait poursuivre ses recherches lorsqu’il insista pour que nous dînions de nouveau ensemble la semaine suivante :
-Tu ne peux pas refuser, il y a si longtemps que nous ne nous sommes pas vus ! Et nous ne nous retrouverons sûrement pas avant mon prochain séjour en Angleterre.
Sans aucun plaisir, je me vis contraint d’accepter.
Le mercredi suivant, il insista pour passer me chercher chez moi. Il n’y vit pas Gladys, qui était en tournage en Cornouailles, mais il observa longuement notre mobilier. Et il s’étonna que je possède encore la collection de vases Lalique que Cynthia avait accumulés au fil des années :
-Elle y était très attachée. Je suis surpris qu’elle te les ait laissés.
Je suggérai qu’elle avait peut-être refusé de s’encombrer de nos souvenirs, pour mieux refaire sa vie, mais il ne parut pas convaincu :
-Dans ce cas, elle aurait pu vendre ces vases. Une telle collection vaut très cher ! Mais je constate qu’elle t’a aussi laissé cette commode qui lui venait de ses parents.
Cette fois, je montrai mon agacement en lui demandant s’il était venu pour bavarder avec moi ou pour inventorier mon mobilier.
Lui, nullement gêné, se contenta de riposter :
-Je m’étonne juste que Cynthia soit partie en t’abandonnant tous ces objets auxquels elle tenait. C’est invraisemblable. As-tu sa nouvelle adresse ?
Je dus avouer que non :
-Elle a quitté l’Angleterre aussitôt après avoir demandé le divorce. Elle devait être très pressée de refaire sa vie, car elle ne s’est même pas présentée aux audiences. Et elle n’a jamais réglé son avocat.
-De plus en plus bizarre, bougonna Francis. A-t-on au moins mené une enquête, pour être sûr qu’elle s’était enfuie de son plein gré ?
Je répliquai froidement que je n’en savais rien.
-Et tu ne t’es même pas inquiété, continua mon prétendu ami. Tu n’as pas compris que Cynthia n’aurait jamais disparu ainsi, …sauf si elle a été assassinée.
Là, il s’interrompit, avant de déclarer sur un ton théâtral :
-…Par toi, peut-être, puisqu’elle te quittait !
Il croyait dominer la conversation, alors qu’il s’exprimait comme le personnage du médecin d’ « Hôpital » que j’avais créé pour lui. A mes yeux, il était surtout ridicule.
Histoire de lui prouver qu’il ne gagnait la partie que lorsqu’il récitait des dialogues écrits par les autres, je décidai brusquement, sur une impulsion, de le désarçonner …en lui accordant l’aveu qu’il essayait de provoquer !
-Oui, finis-je par admettre. Tu as deviné. Cynthia est morte. Et c’est moi qui l’ai tuée. Parce que je ne supportais pas qu’elle me quitte, qu’elle poursuive sa vie avec un autre homme. Avec toi, peut-être, puisque je savais que vous aviez eu une liaison. Bref, je lui ai demandé de revenir ici un soir, sous prétexte d’organiser notre séparation. Elle ne s’est pas méfiée. …Et plus personne ne l’a revue.
Subitement, Francis était devenu blême. Pourtant, je n’avais fait que confirmer ses certitudes.
-Comment l’as-tu tuée, murmura-t-il.
Je haussai les épaules pour ne pas lui répondre. Il y a des détails qui ne concernent que l’assassin et sa victime, personne d’autre, et surtout pas celui qui a été la cause indirecte du meurtre.
-Au point où nous en sommes, tu peux bien me dire comment tu as procédé, insista-t-il sur un ton faussement complice. J’ai besoin de savoir.
Et comme je ne répondais plus, il crut pouvoir me menacer de transmettre mes aveux à la police.
Pour le coup, sa naïveté me fit sourire. Et ce fut sans cesser de persifler que je lui rappelai l’inutilité de cette démarche :
-Tu devrais te douter que je ne t’aurais pas livré une telle confidence si je n’avais pas été certain que tu ne pouvais pas l’utiliser. Si je t’ai avoué ce meurtre, c’est parce qu’il y a plus de dix ans que j’ai tué Cynthia. Désormais, la prescription est acquise. Même si je te disais où j’ai dissimulé son corps, même si tu le faisais exhumer par Scotland Yard, …la justice ne pourrait plus me condamner !
Au regard que Francis me lança, je sus qu’il avait enfin compris qu’il ne pouvait plus agir contre moi, et la rage impuissante que je lisais en lui me vengea de toutes les souffrances que j’avais endurées, lorsque j’avais découvert qu’il était l’amant de ma femme.
A cette époque, j’avais été atrocement blessé, dans cet amour passionné, éperdu, que je vouais à Cynthia. Aujourd’hui, je savourais enfin les saveurs amères de la vengeance.
-Tu as tort de ne pas me répondre, insista Francis. Vois-tu, George, j’aurais pu comprendre que tu aies tué Cynthia dans un accès de jalousie. Mais en ne m’expliquant pas ce qui s’est passé, tu me laisses en proie à des angoisses dont je ne pourrai plus me libérer.
Sans répondre, je me levai pour le reconduire vers la porte.
A cet instant, j’étais convaincu que nous ne nous reverrions jamais.
J’avais oublié à quel point Francis était obstiné.
Trois semaines plus tard, il profitait d’une interruption de tournage pour me retéléphoner.
-George, je regrette que nous n’ayons pas réussi l’autre soir à parler davantage. Car, dès lors que Cynthia est morte, je dois te faire certaines révélations à son sujet. Elle a vécu un drame que tu ignores et qui t’aidera à la comprendre. A nous comprendre. De toute façon, je pense que ce sera la dernière fois que nous nous verrons. Mais je ne peux pas retourner aux Etats-Unis en emportant avec moi le secret de Cynthia.
J’ignorais encore s’il avait prévu d’utiliser cet entretien pour me tuer ou, plus cruellement, pour empoisonner mon avenir sous les remords. Mais peu m’importait. Je ne suis guère peureux, j’avais d’ailleurs prévu de me rendre à ce rendez-vous avec un revolver dans ma poche et, malgré sa stature d’athlète, Francis ne m’impressionnait pas. Au contraire. Suivant ce qu’il me révélerait de Cynthia, il n’était pas exclu que je l’abatte à son tour, pour achever de me venger.
Bref, j’acceptai de le rencontrer une dernière fois, dans un pub ou un restaurant.
-Merci, répondit Francis sur un ton exagérément reconnaissant. Je suis heureux que tu acceptes cette invitation, car j’aurai ainsi l’impression de servir Cynthia en te révélant ce qu’elle n’avait jamais osé te confier.
Bien inutilement, il ajouta qu’il ne voulait pas partager ces confidences avec d’autres que moi.
-Pas même avec ton épouse actuelle, aussi charmante puisse-t-elle être.
Je lui répondis aigrement que je n’avais pas envisagé un instant de mêler Gladys à ce passé qui ne la concernait pas.
-Tant mieux, répéta Francis. Connais-tu un restaurant où nous pourrons discuter sans être perturbés par les autres convives, ni par une musique trop forte ? Je te laisse choisir l’endroit.
Je lui indiquai « Les terrasses d’Anderson ».
-Soit, acquiesça Francis. Viens me chercher mardi soir, vers 22 heures, aux studios. Nous partirons dîner ensemble.
Ce fut sans la moindre appréhension que j’acquiesçai.
En revanche, jusqu’à ce mardi soir, je n’ai cessé de réfléchir sur ce que j’allais découvrir du passé de ma femme.
Cynthia m’était toujours apparue comme une femme orgueilleusement belle, et sûre de sa supériorité. Durant les sept années où nous avions été mariés, je n’avais jamais décelé en elle de zones d’ombre, aussi ne parvenais-je pas à entrevoir ce que Francis allait me révéler. Et malgré moi, je sentais ma jalousie se réveiller. Comme à l’époque où elle et moi étions mariés, où je m’épuisais à écrire des scénarios pour gagner l’argent nécessaire à son train de vie et où je sentais qu’elle demeurait insatisfaite. J’avais été atrocement blessé lorsque j’avais eu la preuve qu’elle me trompait avec Francis, elle à qui j’aurais voulu dédier ma vie. Plus tard, j’avais découvert qu’il n’y a pas de limites à la douleur, puisque j’avais souffert plus encore lorsqu’elle m’avait annoncé son intention de divorcer. Et je n’avais retrouvé l’apaisement qu’après l’avoir tuée.
Depuis que Francis avait affirmé vouloir me faire des révélations, je retrouvais ce sentiment d’impuissance que Cynthia m’avait toujours inspiré, elle que j’avais tant aimée et qui avait toujours essayé de me fuir.
Ce fut donc avec une certaine anxiété que je me rendis à ce rendez-vous. Gladys n’avait pas insisté pour m’accompagner, au contraire. Elle devait rencontrer ce soir-là un producteur de télévision susceptible de lui confier un rôle intéressant.
J’eus la surprise en arrivant devant les studios de tournage, de trouver les lieux déserts. Et obscurs. Un instant, je me demandai si Francis ne m’avait pas tendu un piège, pour m’abattre sans témoins, et je m’emparai de mon revolver…
J’essayai bien de sonner, d’appeler un éventuel gardien, mais personne ne me répondit.
Furieux, je repris ma voiture et rentrai chez moi en maugréant contre les caprices des acteurs.
Bizarrement, ma maison était elle aussi plongée dans l’obscurité. Gladys m’avait pourtant affirmé qu’elle recevait chez nous un producteur, avant de dîner seule.
…Ce fut dans notre chambre que je la découvris. Couchée en travers du lit. Et, avant même de remarquer la blessure qu’elle portait à la tempe, je sus qu’elle était morte. Assassinée.
Bien sûr, j’alertai immédiatement les autorités. Face aux hommes de Scotland Yard qui vinrent chez moi pour constater le décès et relever les indices, j’expliquai que ma femme avait été abattue en mon absence, et je leur dis être allé attendre mon « ami » Francis Forsythe à la sortie des studios où il tournait son prochain film.
-Et vous avez déjà eu le temps de dîner, s’étonna le commissaire Maugham.
-Non, bredouillai-je. Francis n’était pas là.
Je lus dans son regard qu’il était pour le moins étonné. Voire, soupçonneux.
D’autant que je n’avais pas de véritable alibi à lui fournir à l’heure du meurtre, puisque je n’avais rencontré personne autour des studios déserts.
Sans respecter mon désespoir, il me posa toutes sortes de questions, sur le ton qu’on adopte face à un coupable.
Au point que je finis par lui suggérer de téléphoner à Francis.
-C’est ce que j’allais faire.
Le commissaire garda un léger sourire pour appeler l’acteur et lui demander s’il m’avait effectivement fixé rendez-vous devant les studios de tournage. Mais, même s’il m’était impossible d’entendre ce que lui répondait Francis, je lus dans le regard du policier que son témoignage était loin de m’innocenter.
-Ah bon, s’exclama le commissaire, avec une intonation captivée. Non, il ne m’avait pas dit ça… Et vous seriez prêt à en témoigner ? Eh bien dans ce cas, je vous attends demain matin à Scotland Yard.
En raccrochant, il avait le sourire victorieux de l’homme qui pense avoir déjà mené à terme son enquête. Et ce fut avec le même sourire qu’il me déclara :
-Francis Forsythe nie absolument vous avoir fixé rendez-vous ce soir. En revanche, il m’a révélé qu’il était l’amant de votre épouse. Ce que vous aviez omis de me dire…
-Mais non, balbutiai-je. C’est de Cynthia qu’il était l’amant. Ma précédente épouse, dont je suis divorcé. Désormais, je suis marié avec Gladys.
-Il était peut-être l’amant de votre ex-femme, répliqua le commissaire. Mais il m’a bien précisé qu’il était tombé amoureux de votre épouse actuelle. Gladys. Il m’a avoué qu’il l’avait même convaincue de vous quitter, et qu’elle s’apprêtait à le suivre à New York dès qu’il aurait achevé son tournage. Il paraît qu’ils vous avaient annoncé tous deux cette décision la semaine dernière, et que vous aviez très mal réagi. Il avait même dû s’interposer pour vous empêcher de frapper votre épouse. Il a ajouté qu’il vous a téléphoné ensuite, pour discuter avec vous des modalités de la séparation, et que vous lui avez proposé de dîner ensemble, mais qu’il a refusé car il avait peur de vous. Il le regrette maintenant, en constatant que vous vous êtes vengé sur votre épouse…
-Mais c’est faux, répétais-je maladroitement. Gladys et moi, nous n’avons jamais cessé de nous aimer.
-C’est ce que vérifiera l’enquête, murmura le commissaire.
Le lendemain-même, je fus confronté à Francis. Mais je compris que j’avais perdu la partie dès que je le vis s’avancer vers moi et s’écrier :
-George, tu n’avais pas le droit de t’en prendre à Gladys ! S’il y a un coupable, c’est moi seul. Moi qui lui ai fait des avances et qui lui ai demandé de me suivre à Hollywood. J’aurais dû écouter tes menaces et admettre que tu ne la laisserais jamais partir. Mais pourquoi ne t’en es-tu pas pris à moi, plutôt ?
Il s’exprimait encore comme dans « Hôpital », avec ce talent d’acteur qui rend crédible tout ce qu’il raconte.
Je compris alors qu’il m’avait fixé ce rendez-vous sous prétexte de me parler de Cynthia, juste pour que je n’aie pas d’alibi à présenter à l’heure où il tuerait Gladys. Sans doute était-ce lui aussi qui lui avait demandé de l’attendre chez nous en se faisant passer pour un producteur, que les enquêteurs ne retrouvèrent jamais. Et, même si la famille et les amies de ma femme affirmèrent tout ignorer de son éventuelle liaison avec Francis, le commissaire en conclut que Gladys était restée discrète sur ses projets de départ. D’autant que l’équipe du film « Banco » affirma que depuis quelques jours, Francis parlait sans cesse de Gladys Preston.
Alors qu’il ne la connaissait même pas !
Bien sûr, je fus tenté de révéler à Scotland Yard que Francis avait lui-même tué Gladys, juste pour venger l’assassinat de ma première épouse en me faisant condamner. J’aurais pu appuyer mes propos en avouant comment j’avais assassiné Cynthia, et où je l’avais enterrée. Mais mon avocat me le déconseilla : car, même si ce crime était couvert par la prescription, il impressionnerait défavorablement les juges. Et mes aveux ne suffiraient pas à prouver que j’étais innocent du meurtre de ma seconde épouse.
Comme je l’avais instinctivement deviné quand j’avais entendu le commissaire Maugham téléphoner à Francis la première fois, rien ne pouvait plus me sauver.
C’était au tour de Francis de goûter les saveurs amères de la vengeance…
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