L’HOMME QUE J’AI TUE
Nouvelle de Gérard MOREL parue dans le N° 3471
de l’hebdomadaire NOUS DEUX (7 Janvier 2014)
C’est dans la serre tropicale que le meurtre a eu lieu.
L’homme se trouvait face à moi, tout proche. Il a eu une expression stupéfaite, durant moins d’une seconde, puis il a porté la main à sa poitrine, comme pour comprimer la douleur qui l’oppressait. Et il s’est écroulé contre la fontaine en marbre blanc.
Dans la mort, il conservait cet air étonné qui semblait l’avoir figé.
Même si c’est difficile à croire, je jure sincèrement que je n’avais rien compris à la scène. Il me semblait en être la spectatrice et c’est seulement lorsque j’ai vu cet homme demeurer inerte parmi les orchidées, que j’ai pris conscience que c’était moi qui venais de le tuer.
Je ne ressentais aucun remords. Ni même la satisfaction de m’être vengée. Un peu hébétée, je me répétais qu’il fallait que je téléphone au commissariat, pour annoncer au policier de permanence que j’avais tué un homme et que l’on pouvait venir me chercher pour me déférer devant le substitut du procureur.
Mais je n’ai pas prévenu la police tout de suite.
Perdue entre rêve et cauchemar, j’ai cherché à renouer le fil des événements qui avaient fait de moi une meurtrière…
Aujourd’hui, je puis tout raconter de ce dramatique enchaînement de circonstances. Je m’engage à rester sincère. Il m’est seulement impossible de vous dire mon nom, par égard pour mes enfants.
Tout au plus puis-je vous confier que mon père compte parmi les hommes politiques les plus importants de notre temps. Il aurait exigé que je prenne sa suite si j’avais été un garçon, mais comme j’étais sa seule fille, il a accepté que je suive des cours de peinture aux Beaux Arts.
Depuis plus de vingt ans, j’expose mes tableaux dans des galeries européennes ou américaines, mais mon père n’est jamais venu assister à aucun de mes vernissages, et il persiste à considérer ma peinture comme un simple passe-temps.
La seule fois où il s’est montré fier de moi, c’est le soir où je lui ai annoncé que j’allais me marier. Parce que l’homme qui désirait m’épouser était l’héritier d’une usine qui fabriquait des engrais vendus dans le monde entier.
-Pour une fois, tu t’es bien débrouillée, a consenti à bougonner mon père, en guise de félicitations.
J’aurais pu me sentir blessée, mais ce soir-là, j’étais trop heureuse pour accorder de l’importance aux perfidies paternelles. J’avais 24 ans, j’aimais mon fiancé, et j’avais hâte de pouvoir partager sa vie, jusqu’à ce que la mort nous sépare, selon l’expression traditionnelle.
Mon futur mari m’aimait tout aussi passionnément. La preuve en est qu’il a supporté les nombreuses exigences de mon père, qui a tenu à modifier plusieurs clauses de notre contrat de mariage :
-Ainsi, disait-il à mon fiancé, tu seras obligé de réfléchir et de recompter ton argent avant de quitter ma fille. Et si tu pars quand même, elle aura les moyens financiers nécessaires pour continuer à vivre décemment.
Mon père me méprisait tellement, qu’il ne parvenait pas à imaginer que mon mari puisse rester amoureux de moi.
C’est pourtant ce qui s’est produit. Nous nous sommes mariés le 25 Juin 1990 et nous avons partagé vingt ans d’amour et de bonheur, concrétisés par la naissance de nos trois fils.
Chaque année, mon mari célébrait le 25 juin à sa manière, en m’offrant une orchidée, ma fleur préférée. Et pour notre vingtième anniversaire de mariage, il a voulu me faire un cadeau inoubliable : il a convoqué un architecte pour faire construire une serre tropicale attenante à notre villa, ce qui allait me permettre de me lancer dans la culture des orchidées…
Ni lui ni moi n’imaginions que ce magnifique cadeau allait nous plonger dans une situation angoissante, qui s’achèverait par un meurtre…
Un seul indice aurait peut-être pu nous laisser entrevoir que cette aventure pouvait dégénérer en drame, c’était le charme élégant et légèrement ironique de l’architecte chargé de superviser les travaux de construction de la serre tropicale. Mais lorsque j’en ai pris conscience, il était déjà trop tard.
Cet architecte ressemblait aux acteurs qui incarnaient dans mon adolescence les héros aventuriers : agents secrets ayant reçu pour mission de sauver le monde, ou cambrioleurs élégants qui dérobent la collection d’émeraudes d’un joaillier sans perdre leur chapeau à huit-reflets.
Bref, le matin même où mon mari m’a appelée dans son bureau pour me présenter cet architecte, j’ai immédiatement été subjuguée. Et je me suis réjouie d’entrevoir dans son regard une lueur légèrement admirative devant ma silhouette. J’y ai vu une promesse de bonheur.
Heureusement, mon mari n’a rien remarqué, et c’est en toute naïveté qu’il a rappelé à l’architecte :
-Vous travaillerez avec ma femme, et vous ferez tout votre possible pour la satisfaire. Car c’est pour elle que je fais construire une serre tropicale, et je tiens à ce qu’elle y soit heureuse quand elle soignera ses orchidées.
-Vos désirs seront mes ordres, a répondu l’architecte, en me souriant, de façon légèrement provocante.
Mais quelques semaines plus tard, quand je lui ai montré les fauteuils que j’avais choisis pour meubler la serre, j’ai compris qu’il prendrait toutes les décisions lui-même. Et que je ne m’en plaindrais même pas…
–Ah non, protesta-t-il. Ne mettez pas de fauteuils en rotin dans une serre ! C’est trop banal ! Pour vous, je verrais plutôt des canapés en cuir, parce que le cuir est une matière vivante. Il faudra aussi prévoir une bibliothèque, pour que vous puissiez venir vous reposer en lisant, dans la tiédeur parfumée qui convient aux orchidées.
Il me proposait un mobilier comme je n’aurais même pas osé en rêver. Aussi ai-je tout accepté. Même ses premiers baisers, esquissés dans la fraîcheur de la fontaine…
Et c’est ainsi que j’ai découvert que ses lèvres avaient un léger goût poivré, alors que son haleine sentait la menthe.
-Mais je ne veux pas d’une brève aventure dans une serre, a-t-il décidé.
Moi non plus. Après vingt ans de fidélité conjugale, je désirais brusquement nouer avec lui une liaison sensuelle et passionnée.
D’ailleurs, la serre tropicale, avec ses parois vitrées, ne nous abritait nullement du regard de mon mari, si celui-ci avait eu la mauvaise idée de sortir à l’improviste de son bureau.
Le bel architecte était célibataire, mais très accaparé par son travail, aussi me proposa-t-il de le rejoindre à son cabinet le lundi suivant. J’acceptai aussitôt, avant même d’avoir trouvé une excuse valable à fournir à mon mari. Face à cet amour inespéré qui s’ouvrait devant moi, je négligeais toutes précautions.
Je me rendis chez lui le lundi prévu, tremblante de désirs contradictoires. Je me demande même comment mon mari n’a pas tout deviné, rien qu’en observant la fièvre qui illuminait mon regard.
Peu importe. Mon amant fut semblable à ce que j’espérais. A la fois délicat et empressé. Ardent sans cesser d’être ironique. Sensuel, mais encore romantique.
En milieu d’après-midi, il me rappela qu’il lui fallait se replonger dans ses plans et ses dossiers, mais ce fut pour ajouter aussitôt :
-J’espère te revoir lundi prochain.
Avec un minimum de lucidité, j’aurais dû me douter qu’en quittant ma maison tous les lundis après-midis, moi qui passais le reste du temps à peindre dans mon atelier ou dans la serre, je risquais d’éveiller les soupçons de mon mari. Mais le bonheur me rendait aussi imprudente qu’heureuse.
Et durant trois mois, je rejoignis chaque semaine cet amant idéal.
Je ne commençai à m’inquiéter que le soir où, en rentrant chez moi, je m’aperçus qu’un homme me suivait.
J’avais remarqué sa présence dans les embouteillages en me rendant chez mon amant, et je fus surprise de le reconnaître en repartant. Mais quand je vis qu’il accélérait et ralentissait à mon rythme, je compris que son manège annonçait une menace. Alors, pour protéger mon bonheur et cet amour inespéré que m’offrait l’architecte, je décidai de régler cette difficulté au plus vite. Je me garai sur la première place disponible que je vis et, comme mon suiveur s’arrêta lui aussi, je sortis de ma voiture et allai vers lui en assurant ma voix, pour lui demander pourquoi il me suivait.
Bien sûr, il commença par nier. Mais quand il comprit qu’il ne me convaincrait pas, il admit :
-Pardonnez-moi. Je ne vous veux aucun mal. Mais je suis détective privé et on m’a payé pour noter votre emploi du temps.
-Ah bon, sursautai-je, mais qui a bien pu vous confier une mission pareille ?
Il eut un geste d’impuissance :
-Le respect du secret professionnel m’interdit de vous en dire davantage.
-Mais vous attentez à ma liberté, lui fis-je observer. Je pourrais déposer plainte contre vous…
-Vous n’y gagneriez rien, me fit-il observer. Car nous sommes dans la rue, dans des lieux publics, et vous ne pouvez pas me reprocher de vous avoir causé le moindre préjudice. Je ne vous demande même pas d’argent…
Il avait murmuré sa dernière phrase de manière plus lente, comme pour y glisser un sous-entendu.
Ce qui me permit de suggérer :
-Je préférerais vous payer. Ma peinture me rapporte des revenus que mon mari ignore, et au besoin je pourrais demander l’aide de mon père…
Je craignais que le détective privé ne se sente insulté par mon offre, mais il se contenta de prendre un air pensif :
-Oui. Bien sûr, dans ces conditions… Il est vrai que j’ai besoin d’argent, car mon cabinet de filatures ne tourne pas aussi bien que j’espérais...
Moi qui suis d’un naturel plutôt patient, j’étais si inquiète de connaître le nom de celui qui me faisait suivre, que j’interrompis le détective brutalement, pour chercher dans mon sac ma carte bancaire :
-Combien exigez-vous pour me livrer le nom de votre client ? Ainsi que la raison pour laquelle il s’intéresse tellement à mes allées et venues ?
Il hésita. Non pas qu’il eut des scrupules, mais il se demandait plutôt combien je serais prête à payer. Je le compris, car le montant qu’il exigeait me fit sursauter.
-Et encore, ajouta-t-il, ce n’est que pour vous donner le nom de cet homme. Mais si vous acceptiez de doubler cette somme, je pourrais aussi renoncer à énumérer dans mon rapport chacun de vos rendez-vous. Par exemple, au lieu de lui révéler le nom de l’amant que vous allez retrouver chaque lundi après-midi, je pourrais écrire que je vous ai vue passer deux heures à la bibliothèque municipale.
Quand je lui dis que je consacrais tout mon temps libre à la culture des orchidées, il admit que le plus simple était de raconter que j’allais chaque lundi après-midi chercher de nouvelles plantes rares pour fleurir ma serre.
-Il ne vous reste plus qu’à me confier le nom de votre client, rappelai-je, plus impatiente que jamais.
-Donnez-moi déjà un premier acompte, sourit-il.
Cet homme m’était furieusement antipathique. Néanmoins, je lui versai tout l’argent que j’avais dans mon sac, en espérant juste qu’il ne profite pas de la situation pour me vendre de faux renseignements.
Sûr de lui, et de l’emprise qu’il détenait sur moi, il recompta méticuleusement les billets que je venais de lui remettre, et il me rappela sans cesser de sourire que cela ne représentait que le tiers de ses exigences :
-Mais j’ai confiance en vous, conclut-il sur un ton faussement généreux. Parce que si vous ne me versiez pas ce que vous me devez, je saurais me venger dans le rapport que je dois rendre à mon client. Peut-être avez-vous une idée de son nom ?
Je lui fis remarquer que je n’aurais pas accepté de payer aussi cher si j’avais su de qui il s’agissait. Ce qui ne servit qu’à le faire sourire davantage.
-Vous n’êtes guère intuitive. Car l’homme qui m’a confié cette mission, …c’est votre mari !
-Lui ? C’est incroyable !
Réellement, j’étais stupéfaite d’apprendre que mon mari avait perdu sa confiance en moi. Et déjà j’étais prête à admettre que tout était de ma faute, parce que je n’avais pas fait l’effort de retenir ma passion pour l’architecte…
Impitoyable derrière son perpétuel sourire, le détective m’enleva mes dernières illusions :
-Votre mari vous fait suivre pour obtenir par mon témoignage la preuve que vous commettez des fautes. Quelles qu’elles soient. Ainsi espère-t-il divorcer en vous faisant attribuer tous les torts.
Ce n’était donc même pas par jalousie qu’il avait eu recours aux services d’un détective privé, mais juste pour se séparer de moi… Il me semblait incroyable qu’il ait cessé de m’aimer sans qu’aucun indice ne m’ait alertée. J’avoue m’être sentie blessée et trahie, et pourtant je devais bien admettre que l’on était tous amené à évoluer puisque moi-même, après vingt ans d’irréprochable fidélité, j’étais tombée amoureuse de l’architecte.
Le détective ne pouvait ignorer mon trouble, aussi me conseilla-t-il :
-Surtout ne lui révélez pas que je vous ai tout dévoilé. D’abord parce qu’il refuserait de me verser ce qu’il me doit pour les heures que j’ai passées à vous suivre. Il pourrait même déposer plainte contre moi au motif que je n’ai pas respecté mon contrat avec lui. Mais surtout, il s’adresserait ensuite à un autre détective, qui finirait bien par vous prendre en faute. Alors que, si votre mari reste persuadé que je fais correctement mon travail, il croira à l’exactitude de mes rapports, et cela vous garantit qu’il continuera d’ignorer les visites que vous rendez chaque semaine à votre architecte.
Sur ce point, j’étais bien forcée d’admettre qu’il avait raison.
-Je vous réglerai ce que je vous dois dès la semaine prochaine. Ce sera facile puisque vous n’êtes jamais très loin de moi lorsque je sors de notre maison…
-Oui, acquiesça-t-il. Prenez le temps nécessaire pour trouver l’argent. J’ai toute confiance en vous. Nous savons bien, vous et moi, que vous auriez trop à perdre, si vous négligiez de me verser la somme convenue.
Il était cynique et glacial, mais je ne le haïssais même pas, tant j’étais préoccupée ce jour-là par le comportement de mon mari. Qui en apparence n’avait pas changé à mon égard, alors qu’il ne m’aimait plus, et qu’il préparait même son divorce. J’avais brusquement la sensation d’avoir partagé durant plus de vingt ans la vie d’un homme sans le connaître vraiment.
Ce soir-là, en lui racontant que j’avais passé la journée à chercher des plants d’orchidées rares, je l’observais. Il se montrait égal à lui-même, affectueux et légèrement distrait. Et moi je retenais une soudaine envie de pleurer, en songeant que nous nous étions perdus, sans doute à jamais…
Mon père, que j’essayai d’appeler à l’aide, refusa de me prêter la moindre somme, comme j’aurais dû m’y attendre :
-Ton mari est assez riche pour assurer votre confort, d’autant que tu vends bien tes tableaux, me rappela-t-il sur ce ton sans réplique qu’il gardait pour me parler.
Bien sûr, je cherchai un réconfort auprès de mon amant. Qui se montra compréhensif et chaleureux, comme toujours. Quand je lui racontai que mon mari me faisait suivre et que j’étais obligée de payer son détective privé pour qu’il ne révèle rien de notre liaison, le bel architecte se montra indigné, autant par la méfiance de mon mari que par la cupidité du détective. Il me dit qu’il aurait souhaité m’aider, régler au moins la moitié de ce que je donnais à ce détective maître-chanteur, mais il n’en avait pas la possibilité :
-Je me suis beaucoup trop endetté pour ouvrir ce cabinet d’architecte.
-Ce n’est pas grave, murmurai-je en me blottissant contre lui. J’ai surtout besoin que tu m’aimes…
Justement, il semblait être de plus en plus amoureux. Au point que, bientôt, il fut convenu que je le rejoindrais deux fois par semaine, le lundi et le mercredi après-midi.
Ne croyez pas que je me cherche des excuses, mais il est facile de comprendre que j’avais besoin de me rassurer auprès de lui, en cette période où le comportement de mon mari me déstabilisait tellement.
Bien sûr, le détective ne comprit pas ainsi mes difficultés. Dès le deuxième mercredi où j’allai rejoindre mon amant, je m’aperçus en repartant qu’il m’attendait et désirait me parler.
Il m’expliqua que l’argent que je lui avais déjà donné servait seulement à apaiser ses scrupules du fait qu’il dissimulait à mon mari mes rendez-vous du lundi :
-Mais puisque désormais vous rejoignez votre amant aussi le mercredi, il faudrait penser à me verser un petit complément. Sinon, je me verrai forcé d’accomplir la mission pour laquelle votre mari me paye, et je mentionnerai dans mon rapport ces rendez-vous du mercredi.
-Vous êtes abject, m’écriai-je.
Avant de me souvenir qu’il risquait de se venger en dévoilant tout à mon mari.
Aussi, sans aller jusqu’à lui présenter des excuses, je m’engageai à lui verser le supplément qu’il exigeait.
Il devenait évident que cette situation ne durerait plus longtemps.
Il fallait bien que le drame se dénoue, pourtant il survint de façon complètement imprévisible, un mercredi où mon amant m’avait rendu visite, sous prétexte d’admirer les nouvelles orchidées qui s’épanouissaient dans la serre qu’il avait fait construire. En réalité, j’avais renoncé à lui rendre visite le mercredi, parce que je ne supportais plus de sentir derrière moi la surveillance du détective, aussi menaçante qu’une ombre. Même si ce damné maître-chanteur remarquait les visites de l’architecte, et s’il les mentionnait dans ses rapports, mon mari ne pourrait pas s’en indigner.
Ce jour-là, mon amant remarqua que je n’avais pas acheté autant d’orchidées mauves que prévu, et je lui expliquai que je me trouvais financièrement embarrassée par le chantage du détective. Aussi étais-je contrainte de peindre davantage et de réduire mes dépenses pour récupérer de l’argent à l’insu de mon mari.
Mon amant me réexpliqua qu’il regrettait de ne pas pouvoir m’aider puis, peut-être pour surmonter sa gêne, il décida de m’offrir les orchidées mauves auxquels j’avais renoncé :
-Je te donne l’argent, mais c’est toi qui iras les acheter. De façon à ce que ton mari ne remarque rien.
Il sortit son portefeuille et en retira cinq billets, que j’acceptai en le remerciant. Mais ce fut à l’instant de saisir ces billets que mon odorat m’alerta : cet argent diffusait un léger parfum de fleurs exotiques… Exactement comme les billets que je gardais dans mon sac et qui s’imprégnaient de mon parfum d’orchidée. Ce détail avait souvent fait sourire mon mari, ou nos amis, qui prétendaient que l’argent n’a pas d’odeur, mais que le mien constituait une belle exception…
Après quelques instants de stupéfaction, la vérité m’apparut, évidente et incontestable : si l’argent de l’architecte était parfumé comme le mien, c’est parce que c’était le même !
Mon amant surprit mon regard et, bizarrement, ce fut son embarras soudain qui confirma mes soupçons.
Au point que j’osai l’accuser :
-Cet argent, c’est celui que j’avais remis au détective… Tu es donc son complice !
Il comprit qu’il était inutile de nier. Et il préféra essayer de se faire pardonner en se rapprochant de moi, comme il l’avait déjà fait si souvent :
-Comprends-moi. Mon cabinet d’architecte me permet à peine de rembourser mes emprunts, et je suis toujours en manque d’argent. Or, ton mari est riche. Je l’ai tout de suite deviné. Rien qu’à la manière dont il t’offrait sans hésiter des caprices aussi extravagants que cette serre tropicale. Bref, quand j’ai senti que tu étais prête à devenir ma maîtresse, j’ai demandé à un de mes copains de te suivre, et de te faire croire qu’il agissait à la demande de ton mari. Mon copain et moi, nous nous partagions l’argent que tu lui remettais. Parce que nous en avions tous les deux besoin. Mais je te jure que je t’ai désirée dès que je t’ai vue, et que je ne t’ai pas fait la cour pour préparer ce chantage.
J’ignore encore aujourd’hui s’il était sincère. Ce matin-là, je n’avais pas la force de l’interroger, de chercher à le comprendre. Désespérée de m’être ainsi lassée manipuler, j’ai poignardé mon amant, avec le sécateur qui me servait à bouturer mes orchidées.
Je sais que je serai condamnée. Peu m’importe.
Aujourd’hui, ma seule consolation reste de savoir que mon mari n’a jamais cessé de m’aimer.
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